Ce matin commence la deuxième semaine d'aventure largué au milieu de la montagne, c'est rude et tellement beau à la fois. L'idée était de partir le plus tôt possible mais il a fait trop froid durant la nuit (-15°). Faut dire que camper à 4650m n'arrive pas tous les jours et quand le soleil pointe le bout de ses rayons par dessus les crêtes il fait encore -7°. La tente est congelée, il faut laisser sécher la toile avant de reprendre la route. Petit déjeuner, remballage, séchage, feuilles de cocas coincés dans la bouche, il est déjà 9h, le temps de se mettre en ordre de marche, commencer l'ascension vers le premier col de la journée culminant à 4950m.

Aujourd'hui le mal de crâne en raison de l'altitude est soutenu, il prend en haut des cervicales et laisse une douleur lancinante, persistante qui s'accentue à chaque mouvement brusque ou forcé. L'impression que vont le sortir les yeux!

 Après un petit kilomètre parcouru, l'ibuprofène est de mise, il n'y a aucune raison de souffrir gratuitement.

Le chemin monte en pente douce pendant une bonne heure et demi avec quelques parties congelées aux prémisses du dégel quotidien imposé par les rayons solaires des hautes altitudes. Il faut déjà commencer à slalomer entre les zones glacées, les pierres, le sol meuble et la boue.

Sur la droite une molaire minérale colorées invite à la contemplation avant d'arriver au premier ruisseau congelé de la journée. C'est le moment d'enlever les chaussures, pousser fort la monture, pieds nus dans l'eau froide puis recharger les bidons d'une eau limpide.

Le chemin bordant le petit cours d'eau est bourbeux à souhait, impossible de pédaler, progression lente en poussant, le souffle est court en raison de l'altitude.

Les pénitents se multiplient au long du chemin, de plus en plus haut, imposants et fondants au soleil. De véritables petits ruisseaux s'écoulent de leur base, accentuent l'effet boueux, nous astreignent à un effort plus soutenu et continu.

Quelques minutes par ci, le long de la rivière, quelques secondes par là, appuyé contre les murs de neige, un rocher, à même le sol, tout est bon pour baisser les pulsations et récupérer son souffle. Plus on monte, plus le blanc immaculé envahit le paysage, la neige engloutit le brun de la terre, nos têtes se perdent dans les nuages, on a presque l'impression de les toucher du bout des doigts.

11h30, 4809m au dessus du niveau de la mer, je viens de passer la hauteur du Mont Blanc à vélo. C'est pas fini, faut encore envoyer du lourd, toujours plus haut, toujours plus loin, un relief de plus en plus exigeant. Une heure plus tard c'est l'arrivée au col (4950m). Des murs de neige de 3m de haut trône au sommet pour poser la monture et attendre Silvina qui arrive une quinzaine de minutes plus tard.

12h45. Repos mérité, photos souvenirs, il faut poursuivre, la journée sera longue, la fringale commence à faire gazouiller nos estomacs vides. Descente boueuse jusqu'à 4720m, un peu de fun et quelques kilomètres gratuits avant de becqueter les restes des pâtes de la veille, agrémentées des dernières cacahuètes salées. Nos baskets ont déjà bien morflées.

Le dos appuyé sur un amoncellement de pierres qui font office de pare-vent, survient l'envie d'une bonne sieste, vite anéanti par la dure réalité du moment, des nuages noirs s'accumulent sur le sommet du volcan pissis aux alentours de 7000m, ça sent la tempête.

Au loin, le chemin qui mène au second col (4952m) nous tend les bras, 13h30, Vamos !!!

Le plateau à ces hauteurs est super humide, les eaux du dégel ruissellent de tous les côtés, c'est plus facile de pédaler dans ces canaux de drainage naturel que de s'enfoncer dans les parties souples du terrain. On progresse doucement, en marchant la plupart du temps, les flaques deviennent de plus en plus grande jusqu'à ce transformer en véritable marre, une bande de gravier nous permet de la traverser les pieds au sec en poussant le bike, les roues immergées dans l'eau aux tons chocolatés.

Une fois cette zone passée, boujour la boue profonde, il est moins contraignant de marcher en dehors du chemin pour ne pas s'enfoncer jusqu'aux chevilles. Soudain, un pick-up garé au milieu de nulle part, ce sont deux ouvriers de la mine qui attendent leurs collègues travaillant plus loin à déblayer les chemin. Ils nous offrent de l'eau et une boîte à pizza avec deux sandwichs milanaise et des pommes frites. En tapant la causette on engloutit la moitié de cette réfection inattendue pendant qu'une chape de plomb s'installe et recouvre le ciel, cette fois c'est sûr, la tempête arrive et il semble qu'on n'y échappera pas. Selon nos deux compères miniers, les conditions de la route vont s'améliorer à mesure que nous nous approcherons du col.

En fait c'est tout le contraire, les machines de déblaiement ont laissé une neige fondue mélangée à l'eau et la boue qui nous rend la progression encore plus difficile. Impossible de pédaler, on continue de pousser, cette fois nos pieds baignent dans ce mélange ruisselant et glacé.

Le froid pénètre nos petons et nos corps.

Après une petite heure à galérer dans ce bourbier, enfin nous pouvons retirer nos chaussures et essorer nos chaussettes. On continue les pieds détrempés jusqu'à atteindre les machines de déblaiement que nous évitons en traversant la rivière. Nous voilà au pied de la dernière montée jusqu'au col. De loin ça paraissait faisable en pédalant, la réalité est toute autre, c'est sablonneux et abrupt, jusqu'à 15% de inclinaison, autant dire que dans le sable c'est mission impossible.

Ça envoie comme ça durant plus de 5km, on en chie grave d'autant plus que le temps se gâte. Il commence à neiger et tout le fond est déjà dans le brouillard. La température baisse sans cesse et les flocons grandissent à vu d'œil. Comme d'habitude j'atteins le sommet le premier, quand Silvina arrive la route est déjà toute blanche et la tempête de neige bat son plein.

Elle est transi de froid et a bout de force. Heureusement on va commencer à descendre, il reste une quinzaine de kilomètre a parcourir. Le soulagement est de courte durée, même pas un km de descente et se présente devant nos yeux ébahis un banc de pénitents de plus de 150m de large qui obstrue complétement le chemin. Silvina n'en croit pas ses yeux, pour elle qui n'a jamais affronter de fortes conditions en haute montagne, c'est le ponpon!

Je lui lance : " t'es fatiguée ? On est au milieu d'une tempête de neige à presque 5000m, il faut descendre le plus vite possible, alors même si t'as l'impression de ne plus en avoir sous le capot, tu dois donner tout ce qui reste et encore plus jusqu'à ce qu'on arrive plus bas en zone de sécurité. T'as déjà fait du ski ? Et bien c'est l'heure de faire du vélo ski."

La zone de pénitents paraît infranchissable, la meilleure option reste de monter dans une zone rocheuse sans neige pour traverser le banc de gel en diagonal en descendant, profitant ainsi de la gravité.

C'est vite dit, nous anhélons comme des bêtes pour soulever nos vélos jusqu'au point de rupture, cri sauvage pour faire monter l'adrénaline et passer les pires difficultés.

La descente dans ce mini glacier est une épreuve de force, j'avance en tête en soulevant le bike, rompant les grandes dagues de neiges à coup de latte pour ouvrir le chemin à Silvina.

Les derniers pénitents sont plus meubles, un enfer pour finalement réussir à les passer. On peut reprendre la descente et pédaler .

Pas pour longtemps, rebelote, voilà un deuxième banc de gel au détour d'une courbe, un peu moins difficile, puis encore un autre et encore un autre et encore un autre. Chaque grande courbe est bloqué de la même façon, heureusement nous continuons à descendre et leur taille diminue.

Une dépense d'énergie incroyable, en situation de survie apparaissent des ressources mentales et physiques que l'on ne pourrait pas soupçonner.

Nous sommes transi de froid mais il faut continuer encore 12km, on a quasi pas avancé.

Désormais le sol est parfois meuble, parfois plus dur et gelé, parfois totalement couvert de neige, parfois pas du tout. La tempête de neige continue mais à mesure que nous descendons la taille des flocons diminue, le vent lui, continue d'être de la partie. Je sais déjà que nous sommes hors de danger, malgré tout il faut encore avaler 10km, traverser quelques rivières, les pieds et les mains engourdis par le froid.

On est tellement fatigué qu'on ne prend même plus la peine d'enlever les chaussures pour franchir les rivières, c'est droit dedans et on avance d'autant plus que la nuit approche à grand pas.

En arrivant près du point de camping le ciel s'ouvre enfin, tous les sommets alentours se découvrent saupoudrés de neige immaculée. Il est déjà 20h, le couché de soleil est proche , les tons orangés envahissent la voûte céleste.

Le paysage est merveilleux, la journée ne pouvait pas finir mieux.

Nous trouvons refuge derrière une bute à côté d'un campement minier clandestin avec plusieurs puits pour fondre les minéraux. Une zone de feu avec pare-vent en pierre est même disponible . Nous sommes trempés et transi de froid.

Je monte la tente le plus vite possible pendant que Silvina enfile des habits secs, ensuite c'est mon tour de me délester des mes affaires humides, je passe un collant et un maillot de corps secs pendant que Silvina chauffe de l'eau afin de préparer du thé. Le dîner sera composé des restes de la nourritures offerte par les ouvriers de la mine. Dès que l'eau est chaude, nous plongeons sous la toile de tente pour mettre les pieds dans le sac de couchage et avaler un morceau en se réchauffant. Il fait déjà nuit quand nous terminons de manger, point de veillée, nous débarrassons le dîner dans l'abside de la tente et sombrons exténués mais heureux dans un sommeil plus que mérité.