Ce matin on se la joue plus tranquille, à part avoir guigner à l'aube les sommets alentours prendre des couleurs, décision est prise de prendre le temps.


De toute façon les chaussures et les chaussettes sont gelées, dures comme la pierre, donc patience.

De petits bouts de bois jonchent le sol, suffisamment pour allumer un feu, préparer le petit déjeuner à base d'avoine et de fruits secs ainsi qu'un plat de pâtes agrémentées d'une soupe pour le déjeuner en attendant que les affaires puissent sécher.

Il est déjà 11h lorsque les jambes commencent à tourner dans le vent. Ma mise en route est pénible, difficile de trouver le rythme.

Silvina trace devant pendant que je fais chauffer l'appareil photo en mitraillant le paysage coloré qui contraste avec le ciel chargé en nuages. Gris, rouge, jaune, bleu, brun, etc, avec des sommets enneigés, la palette tinctoriale est hallucinante, y a des jours comme ça où la lumière et les couleurs se marient à merveille.

Évidemment le chemin est sablonneux et le vent est déjà de sortie, au bout de quelques kilomètres, arrivée à un poste abandonné d'exploitation minière.

Arrêt obligatoire pour explorer les environs, ramassage de bois pour le feu en fin de journée, on est à plus de 4500m d'altitude, en conséquence la matière combustible est une denrée rare et vu les conditions de la veille, avoir la possibilité de se réchauffer en fin de journée est un véritable luxe.

Reprise du pédalage, il est déjà plus de midi, ça dure pas longtemps après une petite descente une large plaine de sable profond se présente devant nous.

Mode poussette enclenché pour traverser cette zone, heureusement le panorama sur les sommets environnants, notamment le cerro Bonete est de toute beauté. À la fin du plateau la zone devient humide, le paysage se reflète dans l'eau, la terre recommence à être imbibée et nos souliers à s'humidifier à force de patauger.

Dans cette contrée monteuse, le paysage est accidenté même si la tendance générale est ascendante, avec l'élévation apparaissent à nouveau les pénitents qui obstruent le chemin, qu'il faut franchir d'une manière ou d'une autre.

Les contourner en poussant dans le sol meuble ou passer par dessus en soulevant les vélos.

Évidemment ils sont en phase de dégel, boue et ruisselet sont également au programme, la vitesse de progression est donc encore une fois plus lente que nous le pensions.

Peu avant 14h c'est la pause déjeuner au pied d'un banc enorme de ces belles dagues blanches congelées qui deviennent insupportables au regard de l'énergie qu'elles nous coûtent afin de les traverser.

Encore une fois une sieste serait la bienvenue mais de nouveau l'amoncellement de nuages gris sur les sommets alentours nous imposent de se remettre en route plus rapidement que prévu.

C'est reparti pour grimper jusqu'au prochain col, de larges plaques de neiges freinent la progression, parfois il faut passer dans le ravin pour contourner les zones de pénitents.

On s'y prend à deux pour pousser vers le hauts le poids des bicyclettes, seul, impossible, l'inclinaison est trop forte.

Il commence à neiger, la visibilité se réduit à mesure que le brouillard envahit la zone et pour couronner le tout l'orage s'installe. Soudain, à moins de 500m droit devant moins la foudre frappe le sol, éclair et tonnerre ont une petite seconde d'écart, ça craind du boudin, on avance droit dans la tourmente et rien de plus dangereux à mes yeux qu'un orage en haute altitude. Je signale à Silvina que la situation est critique qu'il faut rester baissé le plus bas possible en continuant d'avancer. Elle me regarde incrédule sans comprendre, elle n'a pas vu l'éclair taper le sol. À peine ai-je fini la phrase que le tonnerre gronde avec une énorme violence, elle vient de comprendre que la situation est tendue. Le vent dans le dos, nous avançons droit dans l'oeil de l'orage, le pire scénario.

" Laisse le bike, jette toi au sol, on va attendre que le vent éloigne la tempête!"

L'orage continue de gronder et la neige s'intensifie, au bout de 5min je sors ma couverture de survie et rejoins Silvina, on se blottit l'un contre l'autre, à même le sol, en dessous de la couverture pour ne pas trop se refroidir. Nous restons là en attendant que passe la tourmente. Une heure d'attente en écoutant le tonnerre s'éloigner petit à petit, lorsque nous passons la tête hors de notre protection de fortune, les nuages se sont levés. Les bikes sont couverts de neige, le danger est passé, on a eu chaud aux fesses.

Nos habits couverts de boue, on reprend notre marche en avant jusqu'au col à 4718m. Devant nous, le ciel bleu, derrière nous, le ciel gris et les nuages noirs, la sensation de se trouver à la frontière entre le beau temps et la tempête, il ne faut pas trainer, pas envie de subir un deuxième orage dans la même journée !

C'est parti pour la descente, encore des bancs de pénitents, c'est moins pénible à la descente.

Séance pilotage avec la tempête dans le dos qui approche.

En chemin on est supposé passer devant un camp d'exploitation minière où on espère trouver refuge et quémander de l'eau potable. Descente de la montagne dans une vallée escarpée jusqu'au environ de 4150m. Le vent souffle fort, la tempête approche, quelques gouttes commencent à tomber, point de campement minier en chemin, va falloir trouver un endroit pour planter la tente.

Le poste frontière et une bonne option de refuge sont à plus 20km, trop loin, faut trouver une autre solution. En arrivant au bord du torrent en fond de vallée, un chemin s'engage en direction du geiser volcancito de Troya qu'un guide local nous avait recommandé. On le suit afin de sortir de la vallée d'où vient la tourmente.

On est exténué et transi de froid car nos habits sont humides et nos pieds trempés depuis la "sieste" imposée à même le sol durant l'orage.

Avant de recommencer à monter vers le geiser se trouve une zone idéal pour camper, un ruisseau d'une eau limpide et un petit mur en pierre sèche peut servir de protection contre le vent. Pendant que Silvina essaie d'allumer le feu, j'agrandis le mur en pierres sèches et installe la tente. Mes pieds sont gelés, j'ai bien enlevé ma paire de chaussures détrempées mais en claquette impossible de récupérer de la chaleur d'autant plus que les bourrasques nous harcèlent depuis un bon moment déjà. Une fois la tente montée, j'aide Silvina pour le feu qui a bien du mal à prendre avec l'humidité ambiante. Lorsque les flammes brillent de mille feu, je me refugie dans la tente pour passer des habits secs en préservant néanmoins la paire de chaussette sèche pour la nuit. Retour au coin du feu pour cuisiner, étendre les affaires trempées, réchauffer mes petons rougis par le froid, préparer un thermos de thé chaud.

Pendant que l'obscurité nous enveloppe de son manteau sombre, nos préparatifs au coin du feu prennent fin. Nous nous glissons sous la toile de tente pour avaler notre dîner, réchauffer nos âmes, nos corps et profiter d'une bonne nuit de sommeil bien méritée. Encore une journée de ouf, chargée en aventures, forte en émotions avec des paysages à couper le souffle.