Ce matin les jambes sont lourdes, les 144km de la veille ont laissé des traces, je prends mon temps, le vent a tourné pendant la nuit et il faut à nouveau l’affronter de face, heureusement il ne reste qu’une vingtaine de kilomètres à parcourir jusqu’à Carmen de Patagones où Melany doit me recevoir. 

Ne disposant pas encore du point de rendez-vous, il me faudra trouver un wifi quelque part en arrivant en ville. 

La ruine qui me servit d’abris s’avérait être une ancienne école rurale, chargement du vélo et deux heures plus tard arrivée à la porte de la ville, je passe le vieux pont à bascule inauguré le 17 décembre 1931, d’ingénierie allemande qui fonctionna jusqu’en 1957 avec un système de contrepoids hydraulique. Le pont-levis ne fonctionne plus, il faudra revenir pour la qualité allemande, l’entre deux guerres devait être une autre réalité. 

De l’autre côté du pont, en longeant la berge du Rio Negro j'arrive à l’office du tourisme de Viedma, 

Le fleuve fait la séparation entre la province de Buenos Aires et celle de Rio Negro, entrée officielle en Patagonie.

Informations prises, connexion wifi, la destination du jour est désormais connue, retour sur mes pas pour quelques kilomètres où m’attendent  Melany et Paula, deux jeunes étudiantes pétillantes et pleines de vie, qui me reçoivent avant d’aller à leur partiel.  

Passage par le supermarché du coin, hamburguesa maison, birra (bière) et une grosse salade partagés avec Ramón leur collègue de l’université qui a mon âge. A peine le temps d’avaler leur assiette qu’il leur faut se rendre à l’examen, pendant que je range tranquillement et profite d’une bonne douche. 

Une petite heure plus tard les voilà déjà de retour, il fait un temps superbe, direction le centre ville de style colonial puis promenade le long des berges du Rio Negro. 

Chez Melany ça brasse, les amis, ça va, ça vient, y'a du monde, Leonel, tri athlète apparaît puis Elton avec une guitare, Paula amène la sienne également. Le traditionnel asado accompagne nos discussions animées, et puis évidemment au bout d’un moment les guitares sont de sorties et de nouvelles ondes sonores traversent la pièce, la bonne ambiance règne.

Le lendemain matin, cours particulier de portugais en compagnie de Melany pour préparer son partiel de l’après-midi, Ramon arrive pour le déjeuner, pour eux, direction la salle de classe pour l’examen de portugais, de mon côté la gare afin de trouver une solution concernant le transport du vélo dans le train patagonico mais aussi pour me permettre d’aller voir les baleines à Puerto Pirámides. 

15h10 les bureaux viennent de fermer, retour à l’appart où j’attends la petite troupe d’hier qui a promis de m’emmener à El Cóndor, une petite citée balnéaire à une trentaine de kilomètres. 

Le vent est de la partie, chose quasi normal en Patagonie, terre de vent, aujourd’hui il est particulièrement violent, autant dire que la baignade est à oublier, direction le sommet de la falaise où se trouve le mémorial dédié aux combattant des Îles Malvín que l’empire britannique marauda dans les années 80. 

On y trouve également la plus grande colonie au monde de perroquets barrancas caractérisés par leur couleur verte sombre, au comportement tumultueux, agité, virevoltant dans le vent au bord du ravin. Cette espèce ne se rencontre qu’en Argentine et au Chili, elle est considérée en danger car subit des  persécutions incessantes pour être considérée comme une menace pour les cultures et les infrastructures, en effet ces perroquets aiment à se poser sur les lignes électriques pour les ronger.

Mâté, au bord de la plage, mâté sur une petite place à l’abri du vent, échange de jongles, n’oublions pas que la culture football est énorme ici et qu’il y a toujours un ballon qui traîne, séance photo délirante avec les amis puis retour chez Melany où le vin coule à flot, à nouveau, les cordes vocales vibrent en chœur et à l’unisson avec celles des guitares. 

Initiation au jeu de carte argentin appelé le « truque », problème technique sur le vélo et changement de la roue arrière, le pneumatique s’est ouvert sur la bande latérale, fini la roue renforcée, il va falloir faire un peu plus attention aux risques de crevaison. Encore quelques beaux moments en compagnie de Ramón et Melany, puis le dimanche matin, je disparais sans faire de bruit. Melany qui est rentrée à l’aube dort profondément, le bus en direction de Puerto Madryn est à plus d’une heure de marche. Je laisse mon vélo et la plupart de mes affaires, retour jeudi pour récupérer tout ça, vendredi il faudra embarquer le vélo dans le train en direction de Bariloche et la cordillères des Andes. 

Dimanche en fin d’après-midi , arrivée à Puerto Madryn, capitale nationale de la plongée sous marine, Deby qui doit me recevoir vit de l’autre côté de la ville à environ 4km du terminal de bus. Passage par le front de mer avec une sacoche, la tente et un petit sac, pas idéal pour marcher mais je fais avec. Un groupe de femme milite contre les persécutions au rythme du Candombé et de chants revendicatifs, la marche suit son cours, passage par une agence afin de prendre quelques informations sur le coin. En raison des prévisions de vent, il me faudra aller dès demain à Puerto Pirámide de l’autre côté de la péninsule de Valdés, pour pouvoir observer les baleines.  

Après une bonne heure de marche Deby me reçoit, scientifique, elle développe un algorithme de reconnaissance automatisée des cétacés de la région, aime la nature, l’escalade, le camping, elle connaît bien la zone et de nombreux endroits qui seront sur ma route dans les prochaines semaines. 

En partageant le dîner et une bonne bière elle me passe un paquet de bonnes recommandations, il est près d’1h du mat’ quand nous allons nous coucher, j’inaugure le nouveau canapé lit avec un matelas flambant neuf, j’y dors comme un loir jusqu’au petit matin. Sans trop faire de bruit je me prépare puis prend la clé des champs en n’oubliant pas de saluer Deby qui est encore à moitié endormie dans sa chambre. Une bonne heure de marche m’attends jusqu’au terminal de bus, après 500 mètres une camionnette amorce un virage au coin de la rue, l’idée germe immédiatement qu’elle pourrait m’avancer sur le chemin, transmission de pensée, Herman l’a senti et s’arrête sans même que je lui fasse signe. Dix minutes plus tard je me retrouve à côté de la gare routière, j’ai le temps de faire quelques courses pour mon petit périple dans la péninsule.

Dans le bus rencontre avec Paula,  secrétaire au tourisme, une fois la glace brisée, on rit pendant tout le trajet, elle me passe également une bonne dose d’informations utiles au sujet des compagnies qui naviguent pour observer les baleines ainsi que sur une option de découverte de la zone à VTT.

En arrivant il est déjà presque midi, le temps est parfait, soleil, chaleur et très peu de vent, comme annoncé le jour idéal pour les observer.

Direction la compagnie recommandée par Paula, il ne reste plus de place à bord néanmoins deux personnes ne se sont pas encore présentées pour l’embarquement, on m’invite à attendre un petit peu, le temps de manger mon sandwich, on me passe un gilet de sauvetage, direction la plage.

En plus des baleines Franca australes, la péninsule abrite une colonie d’éléphants de mer, les dauphins les plus grands du monde, des orques, des pingouins, différents types de cormorans, mouettes, pétrels géants, un petit paradis pour qui aime à observer la vie sauvage.

Une des caractéristiques de ces baleines sont les callosités sur leur tête. Elles sont de couleur grise mais la présence de crustacés appelés Ciamides ou poux de baleines, les font apparaître blanches. Elles mesurent entre 12 et 15 mètres, leurs bébés naissent avec une longueur de 4 à 5 mètres et grandissent à raison de 3cm par jour, elle pèsent entre 30 et 50 tonnes et viennent dans la zone pour profiter des eaux calmes afin de se reproduire. 

Elles possèdent deux canaux de respiration, expulsent de l’air et de la vapeur en forme de v caractéristique, leur queue peut atteindre 5m et les aident à se propulser à une vitesse de 15km/h, mais elles se déplacent généralement à une vitesse moyenne de 4km/h. Un comportement fréquent de cette baleine est qu’elle immerge  son corps à la verticale et laisse sortir sa queue à la manière d’une voile pour être transportée par le vent.

Dans l’eau, c’est spectaculaire, imposant, majestueux, elles paraissent toutes mignonnes, super agiles, elles font la longueur d’un bus et demi, on comprends donc facilement pourquoi il est interdit de plongée à leurs côtés. La moindre touchette pourrait être lourde de conséquence, sans parler des effets pervers qu’engendrerait ce type de tourisme.

C’est difficile de prendre conscience de sa taille, néanmoins lorsqu’elle passe sous le bateau, qu’en deux secondes elle a parcouru une centaine de mètre, ou mieux encore lorsqu’elle saute, se retrouvant hors de l’eau on se rend vite compte que l’embarcation à proximité ou dans laquelle on se trouve paraît être bien petite à côté de ce mastodonte des océans. 

Une heure et demi plus tard il faut déjà remettre les pieds sur la terre ferme, par chance aujourd’hui quelques unes sont très près de la côte, pleins les yeux, encore une fois. 

Il fait très chaud aujourd’hui, un peu d’ombre, une bonne bière ipa, promenades dans les environs de Puerto Pirámides avant de rencontrer Mario pour le réserver un vtt pour demain.

Il est ensuite temps de partir de l’autre côté de la baie dans les dunes où Deby m’a recommandé de planter la tente. Une heure de marche plus tard je trouve un endroit plat entre les dunes et la végétation, le soleil de souche droit devant moi, donnant l’impression qu’il se couche dans l’océan, un effet en trompe l’œil car droit devant c’est Puerto Madryn, la péninsule est suffisamment grande pour qu’on ne s’en rende compte qu’une fois le soleil coucher lorsque les lumières de la citée illuminent au loin l’horizon par une fine bande orangée. 

La tente est installée, en montant la dune derrière, les pieds nus, soudain un petit serpent que je viens de déranger me passe à moins d’un mètre, je ne l’avais pas vu et j’ai failli lui marcher dessus, il n’a pas l’air content. Au premier plan la péninsule, en arrière plan quelques falaise, devant elles les dunes puis la plage et entre les deux ma tente.

Contemplation, pique-nique à la tombée de la nuit dans le sable, avant d’observer les étoiles pour un moment. En ressortant de la tente vers une heure du mat’ la Voie lactée brille de mille feux, j’ai l’impression d’entendre quelques baleines dans l’eau pas très loin.

Après les étoiles retour sous les toiles, le soleil se lève très tôt, pendant cette deuxième phase de sommeil le vent tourne, le jour se lève et de plus en plus de grains de sables s’engouffrent sous l’abside de la tente et traversent la moustiquaire, sensation bizarre mais je reste au pays des rêves. Soudain l’abside lâche sous le vent, les sardines n’ont pas résisté dans le sable qui offre une résistance trop faible, réveille forcé, la tente vacille il faut agir vite, je remballe mes affaires dans le sac étanche, entonne une petite chanson et commence à plier la tente. Sous le vent et à l’ombre il fait frisquet. Quelques kilomètres à pied sur la plage déserte, la marée est haute, direction le village pour me mettre au soleil et à l’abri du vent afin de manger un morceau puis de boire un café avant de retrouver Mario pour récupérer ma monture du jour. 

Roues 29 pouces, fourche à suspension ajustable, vélo léger malgré le vent ça va être du gâteau cette histoire... 

Ça commence par une belle montée en direction de la Lobería , au sommet l’asphalte devient un chemin de terre et le paysage sec offre un panorama avec des falaises qui plongent dans l’océan, à couper le souffle. Il présente une vue globale sur la réserve, plus loin au pied des falaises  la colonie de lions de mer, les mâles, imposants, crient leur testostérone au vent et les petits appellent leur mère en restant à distance raisonnable des géniteurs virils.

Il est temps de pédaler en direction de la playa pardelas, une zone exclusive, plus reculer, accessible par voie de terre à pied ou à vélo, à une vingtaine de kilomètres en passant par l’ancienne route. De grands espaces de végétation basse et de petits arbustes bordent la route, à environ un kilomètre sur la droite des dunes imposantes. La route vers la plage est fermée par une barrière mais le vélo est tellement léger, il passe par dessus la barrière et moi aussi, je continue, apparaissent les premiers guanacos qui ressemblent fortement à des lamas. J’en effraie trois à une cinquantaine de mètre, ils fuient vers les dunes dont je me rapproche inévitablement. Soudain il n’y a plus de route, les dunes se déplaçant avec le vent, elles l’ont engloutie, il faut pousser le vélo et se repérer avec la végétation pour deviner l’ancien tracé de la piste. D’un coup le panorama a totalement changé, c’est une matinée comme je les aime, grandiose, mère nature dans toute sa diversité!

Le chemin réapparaît au loin bientôt je pourrai pédaler à nouveau, de plus en plus de guanacos en groupe, je me fais de plus en plus discret afin de les observer de plus près, ils communiquent avec une sorte de hennissement que j’essaie d’imiter pour ne pas qu’ils s’enfuient en  attirant leur curiosité. Ça fonctionne ils me regardent interloqué, le groupe se tient devant moi à une vingtaine de mètre, on s’observe, je les remercie de m’avoir laissé les approcher avant de pédaler jusqu’à la plage. 

Encore une fois le panorama change totalement, la marée est basse, le sol jonché de coquillages et de fossiles, festival de contrate et de couleurs. Du gris, du bleu, la péninsule étant abritée, l’océan est d’un bleu marine incroyable, l’eau transparente, ce que je n’avais plus vu depuis des milliers de kilomètres, des escarpements jaunies couverts de moules contraste avec un sol rougissant d’un côté, couvert de petits galets, et de l’autre côté un promontoire recouvert d’algues verte qui accueillent une multitude de vies microscopiques. Au loin c’est plus blanc ou crème, tout cela tranche ou est nuancé selon les points de vue avec un ciel bleu céleste et une couche nuageuse d’un blanc éclatant.

Cet endroit  émoustillant , époustouflant, passionnant et incroyablement vivifiant, le spectacle est mémorable, la marée basse m’autorise à poursuivre le long de l’océan en poussant le bike. La magie continue, au bout du promontoire, les tons sont plus foncés et tranchent  avec l’eau translucide, différents types de cormorans prennent le soleil. Belle opportunité pour les observer en approchant le plus discrètement possible.

La balade continue par l’observatoire de baleines et le paysage change à nouveau me rappelant les sambaquis,  monticules de coquillages que l’on trouve à Santa Catarina au Brésil. Point de baleine depuis le mirador mais encore un joli panorama et le journée est loin d’être finie, orgie de beauté sur le rivage puis retour vers Puerto Pirámides, comme par enchantement je trouve mon chemin au milieu de la végétation, sans aucune difficulté, les explications de Mario était précises.  Arrivée au milieu des dunes, il faut s’engager dans le corridor entre les deux plus grandes, on se croirait au milieu du désert, changement de décor, encore une fois, le contraste entre les dunes et le ciel bleu moucheté de nuages blancs immaculés est saisissant. Je kiffe grave, quelle journée, quel pied! 

Largage du vélo et escalade de la plus haute dune pour apprécier le paysage d’un autre point de vue, aussi pour longer la crête de la dune et la descendre en courant avant de pousser à nouveau le bike dans le sable ondulé par le vent. Quelques monticules isolés présentent encore des restes de végétations, donnant une idée de comment devait être le mieux avant que le sable ne gagne la partie avec le désertification de la zone. Par ci par là quelques traces de guanacos, au sommet de la dune j’aperçois un ancien panneau publicitaire qui est sensé me marquer le chemin sablonneux descendant au milieu des falaises surplombant la baie et l’océan. Petite pause pour quelques photos et surgit tout à coup Mario qui se promène dans les dunes. Le ciel est désormais plus couvert, chargé en nuages grisés avec des reflets bleutés, la couche laisse passer des rayons solaires qui illuminent les falaises de l’autre côté, splendide, les superlatifs manquent en ce jour.

Descente de la falaise sur le chemin sablonneux , trop de prudence tue la prudence, un peu trop sur les freins et je perds le contrôle du bike, petite chute dans le sable sans incidence. Retour par la même plage parcourue à pieds dans la matinée à marée basse cette fois-ci et c’est toujours aussi beau.

Une bonne bière méritée avant de rendre le bike à Mario puis bus pour retourner sur Puerto Madryn où je dois manger au restaurant des produits de la mer en compagnie de Deby. Un petit somme dans le bus, puis aller retour du centre vers l’appartement et retour au centre pour retrouver Deby au mur d’escalade avant d’aller discuter à bâton rompue devant une belle assiette.

Nous sommes les deniers en sortant du restaurant , retour à deux personnes sur un vélo jusqu’à l’appartement. Quelle journée, intense, plus de 40km à vélo, plus de 30km à pied et quel pied !

C’est pour ces moments là que je voyage le monde ...