Réveil littéralement la tête dans les nuages, la brume a pris possession des crêtes alentours, mêlant le blanc, le gris et le vert des yungas, le tout bercé par le rugissement de la rivière. Après une journée d'inactivité, à labri des gouttes dans la guitoune, l'envie d'en découdre et de découvrir ce sentier de la Quebrada del Portugués, dont on m'a tant vanter l'extrême beauté, est énorme.

Il est encore tôt, le jour s'est levé il y a peu, a température est frisquette et le temps humide, le sol détrempé, mais un petit vent frais peut permettre de sécher les toiles de tente et ainsi lever l'encre vers l'aventure.

Après un passage accroupis dans l'herbe humide afin d'assouvir un besoin naturel universel, retour vers la tente qui dégouline d'humidité. Silvina dort encore emmitouflée dans son sac de couchage, il faut dire que la nuit a été dure, hivernale, d'une froideur humide qui transperce les couches.

Première activité du jour, un chiffon recyclé d'un vieux tee-shirt qui m'accompagna durant quatre années d'aventure, sert désormais de chiffon à tout faire, en l'occurence de buvard pour absorber petit à petit les milliers de gouttes qui recouvrent la toile extérieure de tente. À force de l'essorer mes mains sont gelées, l'effort n'est pas vain, le vent séchera plus rapidement l'abri ultra-léger, ce qui devrait nous permettre de mettre les voiles en début d'aprèm si le temps ne se gâte pas.

En attendant, je décide d'aller explorer la première partie du sentier jusqu'au point où il faudra traverser la rivière, un petit kilomètre au milieu de la jungle des Yungas.

Au début du sentier il fait traverser deux petits ruisseaux, où il faudra porter les montures, le reste est beaucoup plus abordable, praticable à vélo, tant mieux, au moins jusqu'à la rivière.

Le spectacle est hallucinant, le paysage verdoyant, luxuriant, la végétation plantureuse, il faut dire que la jungle des Yungas affiche un taux d'humidité de 80%. Les tonalités de verts se mélangent, s'entremêlent, rhododendrons, fougères et lichens ont une saveur de paradis enchanteur pigmenté par la chlorophylle. Séance photo obligatoire tant certaine zones sont spectaculaires.

Il faudra néanmoins faire attention à bien rester sur le sentier principal, aucun marquage et de nombreuses traces animales pourront facilement nous induire en erreur., heureusement j'ai pu charger une trace gps qui pourra nous guider en cas de doute.

Retour vers la case départ bouillonnant d'envie, la tente est quasi sèche, Silvina est levée, Raul me file de l'eau chaude pour le petit déjeuner, allez hop, le plein d'énergie et on commence à plier les affaires, suspendre les toiles afin que le vent finisse le processus de séchage.

Il est treize heure quand nous nous lançons sur la piste de la Quebrada Del Portugués, environ vingt kilomètres de hors piste se présentent devant nous en remontant la vallée et le cours de l'eau.

Après la descente dans le lit de la rivière on est déjà chaud, le premier kilomètre tient toutes les promesses entrevues dans la première phase d'exploration terrestre: un trésor vert.

C'est pas tous les jours qu'on peut pédaler dans la jungle.

Au bout d'un kilomètre, première traverser de la rivière Reales. Y a un sacré courant, de l'eau tellement froide que s'en est douloureux, ça va jusqu'au dessus des cuisses, il faut bien choisir où passer mais même comme ça, quelle lutte pour ne pas être emporté.

À la sortie de la rivière ma nouvelle casquette a disparu, une de mes chaussure qui étaient accrochées au guidon, a pris l'eau. Je crie de douleur tellement l'eau est froide. Ça promet, ça va être du sport ces franchissement de rivière, l'idée du jour est de passer les cinq premiers et d'avancer d'au moins 5 kilomètres pour planter la tente où ce sera possible.

Après ce premier franchissement, il ne reste plus beaucoup de zones pour pédaler dans cette végétation très dense. On est vraiment sur un chemin que se partagent les rares randonneurs et les animaux, des passages étroit entre la végétation dense, du relief extrêmement accidenté avec des secteurs rocailleux qui obligent à pousser la monture le plus souvent et de temps en temps quelques segments qui autorisent à rouler lorsque l'herbe n'est pas trop haute. On s'y met souvent à deux pour hisser nos biclous dans les raidillons les plus sauvages d'autant plus avec mon vélo.

Chaque passage de rivière est une épreuve, il faut enlever les chaussures et traverser au choix, pieds nus ou avec sandales, puis sécher les petons, remettre les chaussure, recommencer toute l'histoire jusqu'à la prochaine berge. Avec mon vélo qui a le poids d'un tank la difficulté est d'autant plus grande, à chaque fois je ne peux m'empêchèrent de penser qu'il faut absolument que je change de monture, c'est souffrance supplémentaire induite par le poids de mon biclou ne peut plus durer.

Heureusement ces épreuves ne sont pas vaines, le spectacle de mère nature est au rendez-vous, comme annoncé par les différents interlocuteurs locaux à qui j'avais exposé le projet de cette aventure.

La végétation est tellement dense qu'il en est parfois difficile de trouver la trace à suivre. De temps à autre je laisse la bécane appuyée contre un arbre et m'en vais explorer plus en avant pour être sûr et ne pas faire d'efforts inutiles avec les charges que, heureusement, nous avons réduites à leur minimum. Les arbres sont tellement recouverts de mousses et de lichen qu'on en voit même plus les troncs, ni les branches, ça pendouille de tous les côtés, c'est impressionnant de beauté!

À mesure que l'aprèm avance, le brume reprend ses droits, l'humidité s'intensifie, la température baisse pendant que nous continuons à suivre le cours d'eau, tantôt sur les hauteurs, tantôt dans son lit, en s'éloignant puis se rapprochant de la rivière Reales. C'est intense dans tous les sens du terme, pas toujours évident de ne pas confondre la piste principale avec celles laissées par les bovins, les équidés, qui s'entrecroisent, se mélangent mais en général reviennent toujours vers la rivière par des petits détours.

La troisième fois que nous enlevons les chaussure c'est pour se mouiller dans la rivière Nevada (enneigé), encore une fois l'eau est gelée, le courant puissant avec un débit étonnant. À chaque fois il faut bien observer, analyser la rivière, chercher les traces et les indices qui nous indiquent où le passage est le moins risqué.

Allez, encore un effort, bientôt nous pourrons installer le campement, bien que jusqu'à présent peu d'endroits ont été propices à l'installer.

Il nous faut cinq heures pour parcourir la distance de 5-6km qui nous sépare du cinquième franchissement de la rivière Reales. il est déjà 18h après la dernière traversée, il reste une heure de lumière, le moment de trouver un endroit pour la tente.

Pas si facile, c'est pas très plat, très humide, l'herbe est très haute et impossible de se mettre dans le sable dans le lit de la rivière pour des raisons élémentaires de sécurité.

On voit bien que lorsque la rivière est gonflée par les pluies elle arrache tout sur son passage, troncs, rochers, rien ne l'arrête.

un petit îlot protégé par un énorme rocher parait pas trop mal pour s'installer bien que le sol soit humide et à moitié sablonneux. . on arrache quelques plantes au passage puis installons la guitoune avec la couverture de survie à l'intérieur pour empêcher toute humidité de pénétrer via le plancher.

Pendant que Silvina installe les couchages, je prépare le feu. Il y a profusion de bois sur l'îlot mais la plupart est humide, dans ce cas il faut bien choisir pour être sûr que le feu prenne. Ça prend un peu plus de temps mais je dois avouer qu'avec l'expérience je suis passé niveau expert dans le domaine. Mes pantalons, chaussette et mes chaussures sont trempés. Le feu va permettre de sécher une bonne partie des affaires pendant que se prépare le diner ainsi que le déjeuner du jour suivant.

Alléluia, la chaleur salvatrice des flammes nous fait un bien fou même si le brouillard s'intensifie et que des gouttelettes commencent à faire leur apparition. Au coin du feu il fait bon!

Souper de nuit dans les nuages, lavage et préparation du petit déjeuner puis vient le moment de s'engouffrer à l'abri sous les toiles de tentes pour un sommeil récupérateur bien mérité. Une journée intense comme je les aime. Demain une étape encore plus intense nous attend. Merci la vie!